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Iri et Toshi Maruki 

Iri et Toshi Maruki “Les panneaux d’Hiroshima”

Iri et Toshi Maruki : peindre l’impensable.

Il y a plusieurs mois, A l’occasion du 76 ème anniversaire du bombardement nucléaire d’Hiroshima et Nagasaki qui est fêté le 6 aout au Japon, j’ai découvert l’oeuvre du couple Maruki . Plusieurs mois, c’est le temps dont j’ai eu besoin pour me résoudre à écrire cet article. Dans celui-ci  je ne présenterai pas tous les panneaux qui sont au nombre de quinze. Que dire de cette oeuvre si difficile à décrire? Une oeuvre pour mémoire, une œuvre pour ne pas oublier, une œuvre pour témoigner, une œuvre pour « plus jamais ça », une œuvre pour dépasser le trauma, une œuvre pour prier ? Elle se nomme Genbaku no zu 原爆の図 (Les panneaux d’Hiroshima).

 La réalité de la bombe atomique est une chose inimaginable pour l’esprit occidental, c’est pourquoi il est si important de faire connaitre l’oeuvre des Maruki . Tout au long de leur vie, et à partir d’Hiroshima, le couple Maruki a choisi de démontrer l’universalité de la souffrance, afin que  l’agression sous toutes ses formes soit comprise et surmontée avant que nous soyons libérés de la menace d’une autre guerre nucléaire.

 

Iri Maruki,  issu de Hiroshima vivait avec son épouse à Urawa dans la préfecture de Saitama, à l’écart des bombardements qui pleuvaient sur Tokyo, quand la bombe fut larguée le 6 aout 1945 au dessus de la ville d’Hiroshima, provoquant la pire catastrophe de l’histoire.  Iri avait encore de la famille qui vivait à 2,5 km de l’épicentre. Dès qu’ils apprirent la nouvelle, ils se rendirent sur place pour aider leur famille et la population, pendant un mois, s’exposant ainsi aux radiations. Iri dit: “J’ai vu quelque chose que je n’aurais pas dû voir”. La maison familiale était toujours debout, mais le toit, les tuiles et les fenêtres, avaient été emportés par l’explosion, ainsi que les casseroles, et les bols de la cuisine. Même ainsi, la structure brûlée était restée et un grand nombre de blessés s’y étaient rassemblés et gisaient sur le sol. Plusieurs de leurs proches parents étaient morts ou gravement blessés. Ils ont transporté les blessés, incinéré les morts, cherché de la nourriture et trouvé des tôles brûlées pour réparer le toit. Puis ils ont erré comme ceux qui avaient vécu la bombe.

De retour chez eux , découvrant que la guerre était finie, ils reprirent leur vie d’artistes peintres tentant de suivre le courant qui se voulait résolument optimiste autour de la reconstruction du pays. Cependant la jeunesse et la gaité de leur modèles ne pouvaient effacer le traumatisme provoqué par ce qu’ils avaient vu et c’est presque contre leur volonté qu’ils se mirent à peindre les panneaux d’Hiroshima. L’une des rares images autorisées à circuler dans l’immédiat après-guerre et compte tenu de l’occupation américaine, était le nuage champignon atomique. Ce nuage – forcément lointain – éludait la souffrance. Le contexte : Juste après la guerre toute photo et documentation sur les dommages issus de la bombe atomique avaient été interdites au public par les alliés et les US. Alors que l’information sur les souffrances que les victimes avaient subies étaient à l’état de rumeur, le couple Maruki a tenu à décrire ces dommages dans leur œuvre de la façon la plus réaliste qui soit.

Le couple avait auparavant un style et une techniques bien différente. Toshi était spécialisée dans le portrait dans un style occidental à l’huile et Iri maitrisait l’encre (sumi) dans un style plus surréaliste. Ce ne fut pas sans mal qu’ils réalisèrent cette oeuvre d’ailleurs! Un combat plus qu’une collaboration parfois. Quand elle traçait des visages aux traits délicats, il projetait ensuite de l’encre sur ceux ci. Ils étaient “de l’huile et de l’eau”, a déclaré l’historien John Dower. Cette encre noire et sombre est restée la dominante de leur oeuvre, comme pour purger l’obscurité liée au deuil . L’ombre recouvre des groupes entiers de corps nus leur enlevant  toute humanité. Cependant l’image d’une femme ou d’un enfant semble parfois épargnée comme le reflet du peintre qui garde encore espoir en la vie.

Alors que nous continuions à peindre, priant pour les âmes des morts dans l’espoir que cela ne se reproduise plus, nous avons réalisé que même si nous peignions toute notre vie, nous ne pourrions jamais les peindre tous.”

Après deux ans d’esquisses la premiere de quinze peintures monumentales fut achevée en 1950. « Fantomes » (Ghosts) a été exposée pour la première fois en 1950, 5 ans après la fin de la deuxième guerre mondiale. Les personnages peints sur ce panneau sont de taille humaine. D’une longueur totale de 7m20 sur 180 cm de haut, divisé en deux parties chacun avec 8 faces de 90 cm/180 cm H., ce qui est le format d’un tatami. Les matériaux étaient difficiles à trouver à la fin de la guerre ce qui explique l’utilisation de ces chassis.

Fire (Panneau II) “Un puissant éclair bleu-blanc. L’explosion, la pression, la tempête de feu – jamais sur terre ou au ciel l’humanité n’avait connu une telle explosion. Les flammes ont éclaté dans l’instant suivant et ont bondi vers le ciel. Brisant le silence sur les ruines sans bornes, le feu rugit”. Environ trente minutes apres l’explosion, alors que le temps est clair tout autour d’Hiroshima, une pluie fine tombe sur la ville pendant cinq minutes. Puis, le vent se lève et chasse ce nuage formé a la suite de l’ascension vertigineuse de l’air surchauffé qui s’est condensé dans les  zones superieures. Ce vent anime alors l’incendie qui gagne de proche en proche avec rapidité, car les constructions japonaises sont baties presque  totalement en bois. Iri a peint les flammes dans un style oriental, comme dans les peintures religieuses. Il voulait initialement utiliser de la feuille d’or pour figurer le feu; il dut se contenter de cinabre (pigment minéral rouge).

Les panneaux suivants décrivent des scènes telles qu’elles ont été décrites par des survivants ou auxquelles le couple a assisté . Avec Water” (Panneau III) les gens ont cherché à fuir le feu en se jetant dans la rivière.  l’arc en ciel ” (Panneau IV) montre l’apparition d’un arc en ciel  après la pluie noire qui est en fait une pluie radioactive.  “Garçons et filles” (Panneau V) est un panneau dédié à toute une jeunesse fauchée par la mort car cette journée du 6 aout les jeunes étudiants et lycéens étaient employés comme volontaires dans les usines. Avec “Atomic desert” (Panneau VI), on voit des personnages à la recherche de survivants.  “les bamboo groove” (Panneau VIII) montre une scène avec une maison devant laquelle les bambous se sont couché sous le souffle, les survivants se sont réfugiés au milieu des bambous. “Relief” est le 8 ème (Ci-dessous) . 

 En 1970 les époux Maruki avaient présenté leur œuvre aux Etats Unis où il avaient reçu un accueil et des critiques très acerbes causé par des faits militaires de l’armée japonaise (pearl harbor, Chine). Ils s’efforcèrent alors d’expliquer la dimension universelle des dommages liés à la bombe, et décidèrent de peindre la mort du prisonnier américain (Le 13 ème panneau). Dans les faits, les prisonniers américains qui ne furent pas tués par la bombe, le furent par les japonais en colère. On pense que 12 prisonniers américains seraient morts à Hiroshima. La série se terminera avec un 15 ème tableau presque abstrait dédié à “Nagasaki”. La bombe a explosé directement au-dessus de la cathédrale catholique d’Urakami, tuant les prêtres et ceux qui s’y étaient rassemblés. Les morts étaient dispersés en cercles concentriques sans fin, avec la cathédrale au centre.

Dans le huitième panneau le couple s’est représenté tirant une charrette et portant des victimes. Ils se décrivent aidant les gens comme il l’ont fait dans la réalité pendant un mois à Hiroshima s’exposant aux radiations. (C’est pourquoi ils obtinrent un “atomic bomb survivor certificat”). Peut-être en raison de sa représentation inspirante de la délivrance, cette peinture est l’une des peintures les plus reproduites des Maruki. Elle fut également pendant un temps présente dans les manuels scolaires.

Toshi a mené une bataille avec elle-même alors que son instinct la poussait à dessiner la beauté au lieu de la laideur. Les spectateurs japonais ont été repoussés par le choc des images, mais même alors, l’une des premières critiques des survivants était que la réalité était bien pire que ce que l’art dépeint. “Une personne est toujours humaine, peu importe à quel point elle est abattue”, a déclaré Toshi dans une interview à la télévision publique japonaise. “Il y a toujours de la dignité. Nous peignons des scènes sombres, douloureuses et brutales, mais comment devrions-nous présenter les personnes qui font face à cette réalité ? Nous voulons les peindre magnifiquement.“(

Le Panneau IX “Yaizu” du nom d’un port qui subit les retombées radioactives dues à un essai nucléaire américain dans l’Atoll de Bikini, montre le Daigo Fukuryu Maru, un bateau de pêche victime également de la bombe à hydrogène, ainsi que la foule en colère. (Une vague de contestation suivit l’incident)

Avec ce panneau X peint en 1954: “Pétition” l’oeuvre du couple prend un sens résolument engagé  avec une galerie de personnages de tous ages qui sont tous présents pour signer une pétition. “Arrêtez la bombe atomique ! Arrêtez la bombe à hydrogène ! Arrêtez la guerre!”
L’appel des mères du quartier de Suginami à Tokyo s’est répandu dans tout le Japon.” Des enfants, des mères, des pères, des aînés et des travailleurs de toutes sortes ont signé la pétition. En 1955 eut lieu la première conférence mondiale
contre la bombe atomique

Ces panneaux ont été exposés dans tout le Japon fixés sur des rouleaux pour pouvoir les transporter facilement, à une époque où il était interdit de montrer les effets de la bombe. Lors de ces expositions les Maruki rencontrèrent beaucoup de victimes qui les encouragèrent à continuer de peindre ce sujet. Dans leur désir de montrer l’universalité de la souffrance, les Maruki ont également peint des panneaux montrant des travailleurs forcés coréens et des prisonniers de guerre américains victimes des bombardements atomiques. Le panneau XIV, simplement intitulé Crows, illustre une scène macabre – des nuées de corbeaux descendant du ciel pour se poser sur les corps.   Comme l’ont écrit les artistes, « les Coréens et les Japonais se ressemblent. Visages impitoyablement carbonisés – y a-t-il une différence? Ensemble, les Asiatiques ont été dévastés par la bombe.”  Plus tard, probablement motivés par les critiques qu’ils avaient reçues, Ils décidèrent de peindre le massacre de Nankin perpétré par l’armée impériale japonaise, passant outre les réticences des autorités sur le devoir de mémoire, les japonais prennant alors la place du bourreau.

Ne cessant de militer pour la paix et voyageant avec leurs oeuvres, ils ont continué à peindre  pour soutenir et faire connaitre les victimes dans le monde jusqu’à leur décès. Il ont aussi créé un Musée pour accueillir leurs oeuvres qui sont exposées accompagnées de textes poétiques de  Iri. Je vous invite à visiter le site .https://marukigallery.jp/en/ 

Cet article a 4 commentaires

  1. Pradelle

    Merci pour ce partage. Toutes les souffrances liées à l emploi de ces bombes ont été niées, étouffées, bafouées,. Merci à ces 2 grands artistes de n ‘avour pas renoncé à témoigner.

    1. Eguchiv

      Merci beaucoup pour ce commentaire. J’aimerais que le travail de ce couple soit plus connu en occident; car comme le révèle un article récent de “The guardian”: “Forgetting the apocalypse: why our nuclear fears faded – and why that’s dangerous” Le risque de la guerre nucléaire est d’autant plus important que nous avons oublié Hiroshima.

  2. Valérie Christophe

    Merci pour cet article, je n’en avait jamais entendu parler. les Témoignages d’hiroshima ne sont pas tellement montrés
    le Manga: Gen d’Hiroshima en apprend beaucoup aussi sur cette periode, ce n’est pas à mettre dans les mains des plus jeunes, mais les grands ados peuvent le lire

    1. Eguchiv

      Merci pour le commentaire, en effet il est resté comme un tabou sur ces témoignages. Appelés “Hibakusha”, ceux-ci firent l’objet de discrimination au sein de la population japonaise, en raison notamment de la croyance que leurs enfants seraient à coup sûr anormaux. Gen Hiroshima, je viens de voir un extrait, en effet c’est “costaud”. Jeune ado ( à 12 ans) mes parents ne m’ont pas épargnée sur les horreurs nazies; j’ai vu des images d’archive et visité un camp de concentration (Mathausen) . Je ne crois pas avoir été traumatisée. Cela m’a rendue simplement plus concernée que la moyenne.

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